Pourquoi l’indépendance de l’Anses face aux pesticides inquiète

Par Pierre-Jean Alzieu

Publié le 16/07/2025 à 16:27

Un décret publié le 10 juillet 2025 pourrait affaiblir l’indépendance de l’Anses, l’agence publique chargée d’évaluer la sécurité des pesticides utilisés dans les jardins comme dans l’agriculture. Explications.

Tracteur pulvérisant des pesticides sur un champ agricole en pleine journée
La mise sur le marché des pesticides utilisés en agriculture est encadrée par l’Anses, dont l’indépendance est aujourd’hui questionnée © maxmann / PixaBay

Une agence scientifique en première ligne sur les pesticides

Peu connue du grand public, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) joue pourtant un rôle crucial dans notre quotidien. C’est elle qui examine, autorise ou interdit la mise sur le marché de milliers de produits, dont les pesticides vendus aux professionnels comme aux particuliers.

Installée à Maisons-Alfort, l’agence évalue les risques pour la santé humaine, animale et l’environnement. Elle fonde ses décisions sur des données scientifiques, et ses avis influencent directement les produits autorisés à la vente en jardinerie ou utilisés dans les champs.

Logo de l’Anses, agence nationale de sécurité sanitaire
Le logo de l’Anses, organisme public en charge de la sécurité des produits alimentaires, environnementaux et phytosanitaires © Anses

Un décret qui modifie la gouvernance de l’Anses

Le 10 juillet 2025, un décret cosigné par les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique a été publié au Journal officiel. Il prévoit que le directeur de l’Anses devra désormais « tenir compte » des priorités du ministère de l’Agriculture lorsqu’il établira son calendrier d’évaluation des autorisations de mise sur le marché.

Concrètement, un arrêté ministériel définira une liste d’usages prioritaires, par exemple pour lutter contre certains ravageurs. L’Anses sera contrainte d’organiser son travail en fonction de ces priorités politiques et non plus uniquement scientifiques.

Un retour par la fenêtre de la loi Duplomb ?

Ce décret intervient deux jours seulement après l’adoption de la proposition de loi Duplomb, qui entendait initialement réduire les contraintes réglementaires pesant sur les agriculteurs, notamment en matière de pesticides.

Dans sa première version, la PPL Duplomb incluait des dispositifs jugés extrêmement problématiques, comme la création d’un Conseil d’orientation pour la protection des cultures, composé en partie de représentants d’industries agricoles. Cette instance aurait pu interférer directement dans les travaux de l’Anses.

Face au tollé, ces mesures ont été retirées du texte final après d’intenses négociations parlementaires. Mais pour plusieurs ONG et élus, le décret du 10 juillet revient à réintroduire une forme de pression politique, en contournant le législatif par la voie réglementaire.

Des critiques unanimes chez les défenseurs de l’environnement

Des voix s’élèvent dans tous les camps pour dénoncer une atteinte à l’indépendance scientifique. Dominique Potier, député socialiste et agriculteur, parle d’une « mise sous tutelle ». Julien Dive (LR), pourtant rapporteur de la loi Duplomb, reconnaît que ce décret « va mettre l’agence sous pression ». Même des administrateurs de l’Anses affirment n’avoir ni été consultés, ni informés en amont de la publication.

Les ONG comme Générations Futures, les syndicats d’agronomes ou encore la toxicologue Francelyne Marano alertent sur le risque de dérives, rappelant les précédents tragiques comme l’amiante ou le chlordécone. Leur message : la science ne doit pas céder face à l’urgence économique ou politique.

Quels risques pour les consommateurs et jardiniers ?

Pour l’instant, le décret ne modifie pas le contenu des évaluations scientifiques, ni les critères de toxicité ou de dangerosité. En revanche, il pourrait prioriser le traitement de certains dossiers au détriment d’autres, selon un calendrier défini en dehors de l’agence.

Dans les faits, cela pourrait conduire à accélérer l’évaluation de certains produits phytosanitaires, en réponse à des pressions économiques. Les produits jugés moins urgents pourraient être retardés — y compris des interdictions.

Dans le cas de produits vendus au grand public, cela pose une question : peut-on encore faire confiance aux produits validés par une agence sous pression ? Même sans modification des seuils ou des études, le signal envoyé est celui d’une fragilisation du principe de précaution.

Quels gestes pour jardiner en toute sécurité ?

Indépendamment du débat politique, plusieurs gestes simples permettent de limiter les risques :

  • 🪴 Privilégier les solutions naturelles : paillage, rotation des cultures, purins (ortie, consoude) ;
  • 🔎 Lire attentivement les étiquettes : vérifier la présence de substances controversées ou classées dangereuses ;
  • 🚫 Éviter l’usage des pesticides de synthèse à proximité des zones sensibles (potagers, jeux d’enfants, animaux) ;
  • 🌱 Adopter le jardinage biologique : les labels AB ou Ecocert garantissent une absence de traitements chimiques.

En définitive, ce décret cristallise un affrontement entre science et politique, dont les conséquences pourraient à terme dépasser le monde agricole. Pour les particuliers comme pour les professionnels, l’enjeu est de taille : garantir la transparence et l’indépendance de ceux qui évaluent ce que nous respirons, touchons et mangeons.

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